Cissé Oumou Ahmar Traoré remet ça avec « Les blessures de l’art »
« Djonya » ou esclavage Mali, un statut socioculturel qui a vécu

photo d’illustration
Comme le griot, le forgeron, le founè (maître de la parole), les esclavages ont longtemps connu le statut d’hommes et femmes de caste ayant une place dans la société traditionnelle malienne. Mais si les premiers cités ses sont renforcés voire valorisés avec le temps en acquérant de la richesse : argent, or, bétail, gloire, l’esclavage a révélé ses facettes dégradantes, d’exclusion sociale contraires aux valeurs humaines. Pourtant, cela n’a pas toujours été le cas. Souvenir d’une pratique culturelle et traditionnelle qui a marqué son temps.
« Wolosso Na » (la femme esclave Na) a connu son moment de gloire à Bamako jusqu’à la fin des années 90. D’une très forte corpulence, le teint noir, la taille légèrement au-dessus de la moyenne, elle était affable et suscitait l’admiration, le respect et surtout l’attention lorsqu’elle prenait la parole. D’ailleurs, ses « jatiguis » la sollicitaient pour son savoir parler et sa capacité à parler d’une image positive ou négative, d’ailleurs, d’une personne. Et ce n’était pas tout.
Une conciliatrice reconnue
Les « founè » ou hommes de parole n’étaient pas encore bien connus à Bamako, certains les confondaient avec les « wolosso » ou « djon ». Lors des cérémonies sociales (mariage, baptême, décès…) ce sont les « wolossos » qui servaient de maîtres de parole pour transmettre les messages de reconnaissance des uns adressés aux autres au sein des communautés.
Les populations s’arrachaient les services de la respectueuse « Wolosso Na » qui se voyait obligée souvent de faire le tour de plusieurs cérémonies, histoire de contenter toutes ses admiratrices ; ou alors contrainte de décliner des invitations parce qu’elle en avait trop sous la main. Pour sa présence toujours récréative, elle se faisait récompensée par différents présents : argent, habit… Comme toute femme de caste respectée, Wolosso Na était également sollicitée dans la résolution des conflits au sein d’un couple, ou entre les membres d’une famille.
Au-delà de tout, un cordon bleu
Avoir la présence de « Wolosso Na » lors de sa cérémonie de mariage ou baptême était le souhait de tout parent. Elle avait le don de concocter de plats succulents qui pouvaient susciter le débat et les commentaires des jours durant. Nâ était également une parfaite organisatrice, qui veillait à ce qu’aucune invitée ne retourne chez elle, le ventre vide.
Cette capacité qu’elle possédait a fait couler beaucoup de rumeur au sujet de « Wolosso Ba » en son temps ; on lui attribuait des pouvoirs occultes du genre « quelque-soit la quantité de repas (si petite soit-elle) qu’elle prépare, point question que cela soit insuffisant », « quand on prend une poignée du repas préparé par Wolosso Na, on est vite rassasié », etc. Nâ, c’était aussi une animatrice émérite.
Danse et chant wolosso
Lorsqu’elle avait réussi à bien faire manger les invités, à transmettre savamment les messages de salutation, de reconnaissance et de cohésion sociale, l’affable dame savait aussi créer l’ambiance. Ce moment était attendu par femmes, enfants et même des hommes.
Ses chansons, comme la plupart des notes wolosso, étaient composées de mots et d’expressions osés et obscènes ; les hurlements, à intervalle régulier, de la foule de spectateurs témoignaient de la « virulence » de ces propos.
« Je suis esclavage, je ne m’en cache pas… », ou alors des expressions imagées crues sur le contact intime entre l’homme et la femme. Bref, Wolosso Nâ était fière de son statut de femme de caste qu’elle a, selon elle-même, hérité de ses parents qui, eux aussi l’ont hérité des leurs…

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La part des « djons » lors des cérémonies
A la fin de toute cérémonie traditionnelle, les « nobles » procèdent à la distribution d’argent et souvent d’habits aux femmes et hommes de caste. La part des griots, des forgerons, des djons est annoncée et remise de façon distincte et publique, pas question de sacrifier ce moment.
Toutefois, de nos jours très peu de femmes de caste osent se montrer comme « djon » lors de ces évènements, et les pratiques traditionnelles wolosso ont presque disparu. C’est certainement le début de la fin.
Avec la promotion de l’islam, la multiplication des mosquées et des prêches qui mettent un point d’honneur à interdire des propos «obscènes », les chansons wolosso ont disparu.
Avant de s’éteindre, à la fin des années 90, la vieille « Wolosso Nâ », avait elle aussi renoncé à ses animations culturelles et à ses pratiques de djon qu’elle percevait clairement comme dévalorisantes.
Avec le temps, les réalités sociales ont changé, les règles de la démocratie et la promotion des droits humains se sont imposées, prônant la dignité humaine, l’égalité des chances, l’interdiction de toute forme de discrimination…
Au Mali, certaines pratiques traditionnelles sont appelées à disparaitre, l’esclavage encore appelé « djonya » ou « wolossoya », en fait partie.
Ténin Samaké