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L’esclavage au Mali:Les explications du sociologue Dr Aly Tounkara

La pratique de l’esclavage est de plus en plus décriée au Mali, parce que contraire aux valeurs de la démocratie et des droits de l’Homme. Dr Aly Tounkara, sociologue directeur du Centre des Etudes Sécuritaires et Stratégiques au Sahel (CE3S) nous aide à comprendre cette pratique séculaire et son évolution dans le temps.
En quoi consiste la pratique de l’esclavage ?
Aly Tounkara : la pratique de l’esclavage dans le contexte malien est antérieure aux religions dites monothéistes, notamment l’islam et le christianisme. Donc c’est une pratique héritée de nos pratiques culturelles, qui est héritée parfois au nom de nos croyances religieuses, peut être légitimée au nom de nos croyances religieuses. Mais fondamentalement, si vous regardez, beaucoup de ceux qui sont étiquetés esclaves ne sont pas forcément pris sur un théâtre d’opération. Ce sont des délimitations géographiques, des considérations sociales, ou parfois même des vulnérabilités qui ont occasionné ce statut esclave chez certains.
Un exemple basique, vous allez dans le milieu majoritairement soninké, les noms de famille à consonance bambara sont majoritairement étiquetés esclaves, de la même manière également dans le milieu peulh.
Quelles sont les zones du Mali concernées par la pratique ?
Aly Tounkara : les milieux qui sont connus par cette pratiques esclavagiste dans le contexte malien sont majoritairement : les régions dites nord du Mali, une bonne partie également de la région de Mopti notamment toute la partie majoritairement peulh, également toute la région de Kayes y compris khasonké, kakolo, soninké sont des communautés qui sont clairement impliquées dans cette pratique.
Il ne faut pas oublier toutes les régions qui sont fortement ancrées là-dans, on le voit un simple passant à Gao, à Tombouctou, à Kidal profond se rend compte qu’il y’a une hiérarchisation sociale. La seule partie qui me parait beaucoup en avance sur ces questions dans le contexte malien, ce serait la région de Sikasso où la pratique est moins visible, si elle existe elle est vraiment moins visible.
Comment est né le phénomène au Mali ?
Aly Tounkara : comme je l’ai dit à l’entame de mon propos, il est né avant les religions monothéismes, c’est un sentiment de domination, c’est un arrangement sociale. Une communauté ou un groupe d’individus pourraient se voir en un moment donné dans le besoin d’étendre leur domination, d’étendre leur influence sur d’autres communautés ou sur d’autres individus. Donc je pense que derrière, il y’a le nom partage du pouvoir, derrière il y’a un sentiment de domination. On a beau expliqué les côtés positifs ou négatifs, en tout cas toute pratique esclavagiste cache un sentiment de supériorité qui animerait les différents acteurs.
Comment l’esclavage se manifeste-t-il dans les relations humaines ?
Aly Tounkara : on observe cet esclavage quand vous regardez lors des différentes retrouvailles soit mariage, baptême, funérailles. C’est en cela qu’on se rend compte qu’il y’a quand même une hiérarchisation, il y’a des gens étiquetés esclaves, des hommes femmes de caste, on leur confie un certain nombre d’activités au nom de leur appartenance supposée esclavagiste ou sociale.
L’esclavage a-t-il évolué dans le temps ?
Aly Tounkara : quand on regarde, rien que la Constitution, clairement l’équité, l’égalité entre tous les Maliens, de tous les horizons, de toutes les communautés, de toutes les croyances religieuses, l’égalité et l’équité sont clairement établies entre homme et femme. Mais malheureusement, on se rend compte que les textes de la République ont du mal à avoir un ancrage local, les pratiques coutumières, les croyances religieuses ont fini par avoir raison sur la Constitution. Ce qui fait que, même si des textes en la matière existent, lesquels textes malheureusement peinent à obtenir les résultats escomptés.
L’esclavage peut-il continuer dans le monde actuel ?
Aly Tounkara : je pense que l’esclavage va continuer dans le monde actuel, c’est la forme qui peut varier et la manière également. Si l’on regarde les parties qui sont, aujourd’hui, concernées notamment la région de Kayes et d’autres localités, par cette pratique esclavagiste, on sait qu’il y’a des mutations, lesquelles mutations ont profondément amoindri les faits liés à l’esclavage.
Si auparavant, les esclaves étaient entièrement à la solde ou à la merci de leurs maîtres, aujourd’hui ils ne le sont pas. Mais qu’à cela ne tienne, la pratique existe même si la forme est légère. Toujours est-il que, du moment où il y’a cette distinction, cette hiérarchisation, on ne peut pas dire que la pratique est moindre mais les formes se sont apaisées, ont anéanti dans le temps, dans l’espace. Mais elles vont toujours exister ces différentes formes de manifestation, quand on va quitter les questions de nom de famille, les questions de milieu, ce sont des pratiques qui peuvent se retrouver dans les champs économiques et même religieux.
Si vous regardez aujourd’hui, comment certains maîtres coraniques traitent les talibés, comment leaders religieux traitent les fidèles, ce sont quand même des formes d’esclavage aussi qui se développent malheureusement sans que les victimes, elles-mêmes, ne se rendent compte qu’elles sont en train de succomber au charme de l’esclavage.
La Rédaction de FemmePlus