Cissé Oumou Ahmar Traoré remet ça avec « Les blessures de l’art »
Que reste-t-il du pagne tissé malien ?

Jadis reconnu et valorisé par les populations maliennes, le pagne tissé local tend à disparaître sans que nos autorités en charge du patrimoine culturel national ne songe à l’assister. Ce, au moment où d’autres pays voisins en font un défi national. Quelle est la situation, de nos jours, la situation du pagne tissé au Mali ?
Amadou Yanoga tisse des pagnes traditionnels dans le quartier Hamdallaye en commune 4 du district de Bamako. Assis sous son petit hangar de fortune fait de bois et de paille grossièrement maintenus par des cordes de tout genre, il passe ses journées à exécuter des gestes mécaniques propres au tisserand pour réaliser les quelques commandes qu’il reçoit de Bamako et de l’extérieur du Mali.
« J’arrive à gagner ma vie avec mon travail de tisserand que j’exerce depuis plusieurs années, les commandes tombent régulièrement… ».
Mais ce que notre artisan ne précise pas, c’est que ses pagnes tissés sont vendues aux clients pour qui ces articles relèvent plutôt du tourisme ou servent d’accoutrement exception.

Fini le temps du pagne tissé, identité nationale
Loin, bien loin l’époque où les pagnes tissés représentaient la fierté de l’élégance vestimentaire made in Mali. En effet, jusqu’à la fin des années 80, des couturiers maliens ont réalisé des merveilles avec cette matière traditionnelle, faisant le succès d’un temps : de jolis mélanges de boubous avec d’autres matières, des ensembles jupes et hauts… Les vendeurs de pagnes tissés circulaient au même rythme que ceux des wax ou autres imprimés de nos jours.
L’autre pagne tissé appelé « gnaka », originaire de la région de Ségou, a connu un triste sort au vu et au su de tous les acteurs en charge de sauvegarde du patrimoine culturel malien. Véritable tissu « princier » qui forçait le respect et l’admiration, le gnaka était produit par des tisserands dans la capitale des balanzan. Des nouveaux mariés n’hésitaient à se vêtir de cette matière gracieuse pour célébrer leur mariage civil à la place des vestes et autre bazin entièrement exporté.
Le succès du pagne « gnaka » était tel que la COMATEX (Compagnie malienne des textiles) basée à Ségou, s’en était appropriée pour en faire un produit industriel à un prix relativement abordable. Mais de but en blanc, ces patrimoines culturels ont perdu de leur superbe sans assistance, faisant perdre au Mali une identité vestimentaire.
Que reste-t-il des pagnes tissés au Mali ?
La symbolique est quelque peu préservée lors des mariages traditionnels au cours desquels, la famille de la mariée exige toujours la présence du pagne tissé à l’ancienne dans le lot des objets à amener par le prétendant. La fameuse expression de la belle famille « dalifini tè finiw la » (le pagne tissé manque), est un moment de rappel aux sources, de fierté culturelle et de tentative de perpétuation d’une tradition qui, tout le monde en est conscient, est moribond. Ba Nana, une femme âgée fustige l’abandon de cette pratique traditionnelle : « les jeunes filles ne veulent plus des pagnes tissés alors qu’ils contiennent des vertus pour la femme, sa maternité et son foyer. Ne soyez donc pas surpris que les femmes et leurs foyers nagent dans des difficultés récurrentes».
Après l’échec du concept « consommer malien », initié à l’époque du général Moussa Traoré, rares sont les hommes politiques maliens qui ont daigné montrer l’exemple en s’habillant avec nos pagnes tissés. Oumar Mariko représente l’exception en la matière, il choisit régulièrement d’honorer le travail des tisserands maliens.

Aminata Dramane Traoré et sa fille Fatima Meïté Braoulé, ambassadrice du Mali au Canada, figurent parmi les ferventes défenseurs du tissu artisanal typiquement malien. Elles les portent, sans complexe, en tout lieu. La jeune ambassadrice en a superbement habillées l’artiste Nahawa Doumbia et sa fille Doussou Bagayoko, sans que personne n’en trouve à redire.

Aminata Dramane Traoré, ancienne ministre de la culture au Mali

L’autre flambeau du « pays dogon »
Le pagne tissé originaire des pays dogons survit tant bien que mal avec les multiples difficultés liées à sa production. Fatoumata Yalkoué que nous avons rencontrée lors du festival dogon à Bamako témoigne que cet évènement est l’occasion unique pour elle d’écouler les pagnes tissés qu’elle produit, souvent en coopérative. Véritable travail artistique, le « pagne dogono » résiste, tant bien que mal, à l’assaut des tissus et pagnes importés. Toutefois, si des mesures idoines ne sont pas prises, cet autre patrimoine culturel et vestimentaire pourra difficilement se maintenir.

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Que font les autorités en charge de la culture pour la sauvegarde du pagne tissé ?
L’appui la plus consistante consisterait pour les responsables maliens à s’approprier ces tissus traditionnels comme l’a si bien fait le père de l’indépendance Modibo Keïta qui n’hésitait à afficher la dextérité des paysans maliens en portant leurs productions au-delà des rencontres internationales.

De nos jours, quel responsable malien s’habille véritablement malien ? Même pas la ministre de la culture.
Ténin Sira Samaké